Quand j’avais 15 ans, je voulais voyager dans le temps pour tuer Hitler et mettre fin aux atrocités de la 2e guerre mondiale… Puis en 2022, Poutine a tenté la Blitzkrieg sur l’Ukraine. Le doute n’était plus permis. Ce type entrainait son armée dans une agression digne du Führer ou plutôt de Staline, sa version russe.
Cet évènement m’a fait repenser d’un coup à cette fantaisie d’adolescence, abreuvée à la sauce hollywoodienne. Les films – d’autant plus en cette fin du XXe siècle – omettaient plein de détails qui d’un coup m’ont sauté au visage.
Proximité temporelle ou physique ?
Contemporain d’un sale type, encore faut-il s’en rapprocher physiquement, entrer dans son cercle sécurisé, de préférence en parlant sa langue, y faire entrer une arme ou un poison, agir (suis-je capable de tuer ?), puis si possible ressortir vivant et libre. Et puis, les temps ont changé pour moi. Je ne me perçois plus comme le centre du monde et mes responsabilités ont changé. Dois-je abandonner mon fils pour une mission à haut risque ? Serais-je meilleur qu’un hypothétique Von Stauffenberg russe ou qu’un James Bond ukrainien ?
Qui naitrait dans ce monde parallèle ?
Avec mon fils, il y a un autre paramètre important qui se profile. Triple-national, il est français de moi, allemand de sa mère et suisse des deux. Trois nations qui ont été impactées de manières différentes par cette grande boucherie. Je mets fin prématurément à cette guerre passée et je crée un monde parallèle différent. Où des héros de guerre, décorés à titre posthume avant de rencontrer leur moitié, deviennent des pères de famille, des gens qui ne trouvent pas le sens de leur vie devenue plus longue et monotone, ou qui ont des enfants nés après leur mort dans le monde d’origine. Des femmes violées qui n’auront pas ce bébé d’un soldat soviétique, français ou américain. Des gens qui, de par leur simple existence, vont en croiser d’autres ou qui se trouvent à des lieux où ils ne se seraient pas trouvés. Des mentalités marquées par la guerre qui se trouvent marquées par d’autres évènements. Des personnes qui existent et d’autres qui par conséquent n’existent pas. Dans cette configuration, est-ce que les parents de ma compagne naissent ? Est-ce qu’elle naît ? Vient-elle en Suisse ? Nous rencontrons-nous et avons-nous notre fils ? Ma grand-mère maternelle, qui a grandi sous Mussolini, vient-elle en Suisse rencontrer mon grand-père ? Mes grands parents paternels se croisent-ils et viennent-ils depuis la France ?
Paradoxe temporel ?
On arrive dans un de ces fameux paradoxes des voyages dans le temps : de par ma non-naissance, je ne peux plus voyager dans le temps et éviter la guerre. Mais si je ne l’évite donc pas on se retrouve dans la configuration que nous connaissons et je peux naître à nouveau… Or si je nais et voyage dans le temps jusqu’à l’affreux moustachu…
Des inventions qui n’auraient pas lieu ou qui ne seraient pas découvertes par les mêmes acteurs : Von Braun reste et les Allemands sont les premiers sur la lune. Les Soviétiques ont réussi à agréger les recherches des Français, Américains et Allemands, qui n’ont pas collaboré dans l’urgence, et ont inventé la bombe atomique avant les Américains. Staline s’en sert, prend toute l’Eurasie et on se trouve quasiment dans les blocs de « 1984 ».
Qu’est-ce que ça changerait ?
Mais cependant, la mort d’Hitler aurait-elle vraiment changé quelque chose ? Etait-il aussi puissant qu’on le prétend ou n’était-ce pas une folie collective affectant un gouvernement entier, une surenchère d’humains qui vont dans une même direction et qui ne changeront pas de cap simplement parce que leur guide suprême n’est plus ? Quoi qu’il en soit, sans Hitler, il reste Staline, Mussolini et Hirohito.
Et qu’en est-il si le nouveau Führer est plus extrême encore, plus jeune, énergique, en meilleure santé et qu’en fait cela prolonge le conflit ? L’impact psychologique de cette perte, à un moment où le Reich est encore au sommet de sa puissance, pourrait encore empirer le fanatisme du régime. Ou au contraire, amener un type qui a la tête bien sur les épaules, qui écoute ses généraux, agit intelligemment et par exemple n’attaque pas l’Union Soviétique.
Inversion des rôles ?
Ainsi, imaginons que, faute d’Opération Barbarossa en Juin 1941, c’est Staline qui attaque l’Allemagne en décembre. N’y aurait-il pas là matière à renversement d’alliances ? Le narratif Russe de la Grande Guerre Patriotique, commencée en 1941 ne tiendrait alors plus, si c’est eux qui cassent l’ignoble pacte entre les deux dictatures. Mais là, peut-être que la Russie est déstalinisée pour de vrai, tandis que l’Allemagne reste nazie. La question reste ouverte, car les deux pays n’avaient déjà pas la même place dans l’économie mondiale, ni dans la géographie européenne.
La guerre est-elle utile ?
Et si je tue Hitler, ne le laisse pas détruire l’Europe et causer la mort de millions d’innocents, j’empêche la pire des dystopies de se transformer dans notre monde actuel, avec cette Union Européenne que les gens aiment détester, malgré les relations de relatif bon voisinage qu’elle a apportées d’où la guerre est exclue.
L’ONU éclos aussi dans ce contexte. Et cette guerre a également permis la décolonisation, en affaiblissant les empires français et anglais, entrainant leur incapacité à défendre les colonies ou en raison des injustices subies par leurs héros de guerre.
Fatalité ?
Mais qu’en est-il de Poutine ? De mon point de vue, de février 2022 ou d’avril 2024, le futur est une page blanche. L’Histoire n’a pas encore été écrite et tant les décisions de Poutine que celles de chacun d’entre nous auront un impact plus ou moins grand sur le futur. Des gens géniaux, qui vont naître l’année prochaine de la rencontre d’un blessé de guerre et d’une infirmière (que c’est romantique !), une réfugiée qui va retrouver l’amour dans un autre pays. Des inventions qui changent le monde, découvertes par un quadragénaire qui serrait des boulons dans une usine soviétique déglinguée, en voyant son cerveau se dégrader, et qui face au danger et au grand air de la guerre a apporté des solutions novatrices. Et qu’en est-ils de ces milliers de Russes expatriés et du brassage de culture que cela apporte ?
Mais il y a aussi ces grands effets politiques de la guerre. La France meurtrie après la Première Guerre Mondiale qui ne voulait pas entrer dans la Deuxième. L’Allemagne et le Japon, gravement humiliés par celle-ci qui sont devenus résolument pacifistes. La Russie contemporaine, aussi revancharde que la France de 1914 et l’Allemagne de 1939, pourrait-elle être calmée pour de bon après une défaite contre l’Ukraine ?
On en arrive à ce fameux conseil – jamais suivi – de nombreux films et romans qui traitent du voyage dans le temps : tu regardes, mais tu n’interagis pas avec les gens et ne change pas les évènements.
Le quadragénaire que je suis fait un signe de la main penaud au rêveur de 15 ans que j’étais et lui dit « Sorry, Marcel-le-jeune, ce n’est pas nous qui allons changer le cours de l’Histoire ». Mais qui sait ? Peut-être ai-je déjà sans le savoir participé à l’activation ou l’inactivation d’un potentiel prochain dictateur européen ? Quoi qu’il en soit, pour cela nul besoin de voyager dans le temps.
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